Avec, dans la caboche, l’idée fixe d’une bonne rigolade en vue, nous nous sommes retrouvés joyeux devant ce beau Théâtre Français pour assister à la représentation des Fourberies de l’Escarpin. Aïe ! Que Sieur Poquelin me pardonne ce lapsus révélateur d’une période de 45 jours de grève pendant lesquels les kilomètres nous ont particulièrement cassé les pieds, usé les souliers et tordu les talons. Chanceux, si pendant cette galère certains, ne se fiant qu’à l’amour, en ont eu les généreux transports. Après des étreintes et des bises à répétition nous avons été invités à pénétrer plus avant dans cette institution culturelle dont nous devons la construction à Victor Louis.
C’est une véritable ruche où pour cet art que l’on dit dramatique mais qui, souvent, en est tout le contraire, tous les corps de métiers sont représentés. Ainsi, pour nous offrir l’excellence, l’activité dans la Maison de Molière est presque, de jour comme de nuit, sans relâche, nos auteurs… le valent bien !
Dans cet illustre lieu, il a suffi d’ouvrir nos mirettes pour admirer, dans le vestibule, la statue en marbre et en pied du Maître des lieux mais aussi le Grand escalier, les lustres étincelants et puis la salle Richelieu, magnifique écrin de velours et d’or vêtu, construite en fer à cheval selon les principes italiens avec balcons, divisés en loges et en retrait les uns par rapport aux autres… Un bijou ! Le plafond en coupole réalisé par Albert Besnard représente la tentation d’Adam et Eve près de l’arbre de la connaissance. Si vous avez eu le réflexe de lever votre tête et de chausser votre lorgnon vous avez pu apercevoir Molière, Racine, Corneille et Hugo en arrière-plan d’Apollon et des muses. Avec tout ce beau linge au-dessus de nos têtes nous pouvions être tranquille.
C’est, vous l’avez compris, dans ce saint des saints, dans ce restaurant gastronomique de l’esprit, que cet homme merveilleux, auteur de génie, comédien et metteur en scène, père de cœur de tous les comédiens, règne en maître et si la curiosité ou le hasard vous a poussé jusqu’au foyer du public alors vous avez pu y voir exposé « le Fauteuil » dans lequel il agonisa lors de sa dernière représentation.
En son temps, au temps du téléphone arabe et du pigeon voyageur, la renommée de Molière (1622-1673) dépasse nos frontières. Ses pièces, dès 1666, sont traduites en Néerlandais, Anglais et Italien. Vers 1730 c’est l’œuvre complète qui le sera dans la langue de Shakespeare. Moitié du 19ème siècle il est joué au Japon à la façon nippone et de nos jours sa production est traduite dans une cinquantaine de langues. Nous pouvons être fier de ce parisien pur jus et, sans complexe, pour une fois, pousser notre cocorico. Si la France, depuis le temps, avait touché les droits d’auteur de nos grands écrivains nous pourrions, enfin, rembourser la dette et payer de généreuses retraites.
Nous avons donc pris place là où nous le devions dans cette splendide Salle pour voir Molière et ses « Fourberies », pièce empreinte d’un esprit proche de la Commedia dell’arte qui n’obtint pas sur le moment un grand succès. Curieusement, par la suite, elle est l’une des œuvres de l’auteur qui sera la plus souvent jouée. Dans cette farce de 1671, dont l’intrigue se situe à Naples, au travers de Scapin l’auteur se fait le défenseur de la jeunesse et de l’amour triomphant du grand âge et ce, sur un rythme endiablé et au dénouement joyeux. Je ne vous ferai pas ici une analyse de la pièce car chacun en aura tiré l’essentiel, l’intrigue bien que compliquée en est finalement bien simple.
Parlons plutôt de l’écrivain qui, épuisé par les contraintes de la Cour, se libérant du pouvoir royal, des commandes excessives et des pressions en tout genre, revient à la farce après avoir signé des œuvres majeures dans lesquelles il se moque des travers de son époque et des défauts éternels de la nature humaine. Deux ans avant sa mort il écrit les Fourberies de Scapin pour un public populaire beaucoup moins avisé.
Pour l’intrigue et les lazzis il s’inspire d’une habile comédie de Térence, un poète latin, dont les œuvres nous sont parvenues et ont influencé le théâtre européen au travers des siècles.
A la demande de Mazarin, Tiberio Fiorilli, dit Scaramouche est monté de Naples à Paris avec la troupe des comédiens italiens. C’est au Théâtre « le Petit Bourbon » que ces deux bruleurs de planches, offrant leurs talents et faisant échange de leurs connaissances se lient d’amitié et partagent ensemble et séparément la scène. C‘est du personnage de Scapino, un zanni insouciant, d’une grande cupidité, bouffon querelleur et fourbe à souhait que Molière dessinera les traits de son Scapin.
Aux applaudissements fournis et aux nombreux rappels cette représentation est un indéniable succès avec une distribution d’acteurs talentueux et une mise en scène excellente mais, un tantinet, dérangeante de Denis Podalydes. Que venait faire, entre autre, le corps nu et le joli fessier de Benjam Lavernhe dans cette galère? Je sais bien qu’il faut dépoussiérer à tout prix les textes que beaucoup pensent, à tort, d’un autre monde mais je vois mal Molière jouer Scapin en costume d’Adam.
Pour certains, ce grand moment fut une fête pour les yeux qui sont, de la salle magnifique, passés à la scène ou nous avons pu apprécier le décor d’Eric Ruf, scénographe et les costumes signés par le très célèbre couturier, désigner et illustrateur Christian Lacroix.
Ambassadrice de la France la Comédie Française, dont la troupe est sans cesse renouvelée depuis plusieurs siècles, répand notre culture à travers le monde comme des éclats de diamants avec pour devise « Être tous ensemble et rester soi-même »
Pour vous servir, j’ajouterai que dans le contexte théâtral, « Rester soi-même » signifie être habité par son personnage et « être tous ensemble » signifie jouer les uns avec les autres sans aucune idée personnelle de vouloir tirer la couverture à soi pour s’approprier le succès. Cela bas de soie.
Le rideau est tombé, la salle doucement se vide et la fête est finie ! Un bisou sur le bout des doigts que le vent emporte, un mot gentil, une tape affectueuse et chacun, c’est selon et selon les moyens de chacun que chacun s’en retourne en brouette, en chaise à bras, en calèche, en diligence où en carrosse. Et c’est, bien sûr, sans compter que nous remercions encore une fois le bureau de l’Amicale.
(Compte-rendu: Danielle Leroux - Photos: Gérard G Podevin)
Publication de la page: Amicale AFP/R Heinrich - février 2020